Restructuration résidentielle et construction neuve, 250 logements

(2007-2014)

Quartier des Bosquets, Montfermeil


Quelles conditions fondent en amont ce projet?

Géographie, transports
Un plateau situé à la cote 112, à même hauteur et de même nature que les plateaux d’Avron et de Romainville, plus isolé que ceux-ci, à l’écart des grandes routes de l’est, du nord-est, et des voies de transport en commun. La cité des Bosquets et le château de Versailles ont ceci en commun d’être à vol d’oiseau à la même distance de la pyramide du Louvre, 17km du cœur de Paris. Quand il faut plus d’une heure pour aller du centre de Paris aux bosquets (RER+bus 11euros AR plein tarif), aller du même centre à Versailles prend ¾ d’heure environ, sans changement (RER ou SNCF, 6euros AR plein tarif). La forêt de Bondy est toute proche. Le passage dans un avenir proche à Montfermeil du tramway de la ligne T4 prolongée, sans parler du tracé projeté du métro du Grand Paris devraient évidemment changer la donne.


Histoire
L’histoire récente de Montfermeil est marquée par la construction de la cité des Bosquets en 1962, plus récemment encore par les émeutes de Clichy-sous-Bois à l’automne 2005. La cité des Bosquets présente toutes les caractéristiques formelles du grand ensemble des années 60 : Echelle, radicalité des orientations, forme urbaine en rupture, écriture architecturale etc. Le plan masse de Zehrfuss prévoit à l’origine la construction de 10 400 logements sur un plateau situé à cheval sur les communes de Montfermeil et de Clichy sous bois. La cité des Bosquets, quart du projet, totalisera in fine 1534 logements répartis en 20 bâtiments sur 50 hectares, dont la construction s’étale de 1962 à 1970.Paradoxalement pour une telle échelle de projet, la réalisation procède d’une logique privée, peu courante à l’époque. Il existe dès l’origine une contradiction entre le caractère privé de l’opération et une ampleur qui aurait de toute évidence nécessité la mise en place d’infrastructures publiques appropriées. La logique ayant prévalu à leur réalisation s’est ici avérée foncièrement inadaptée. Les copropriétés mises en place pour l’opération des Bosquets, confrontées aux difficultés de gestion de bâtiments et sols de plus de 1500 logements, ne parviendront pas à y faire face: complexité structurelle, lourdeur des charges, 2 fois plus élevées que la moyenne en île de France, impayés, état d’abandon des parties communes, spirale inéluctable de dévalorisation. L’abandon du tracé de l’autoroute« A87 » devant initialement longer la cité des Bosquets a constitué un facteur aggravant. Les dettes de certaines copropriétés ont pu atteindre jusqu’à 10 millions d’euros.
Le fait que les bâtiments et les sols des Bosquets relèvent d’une juridiction de droit privé a constitué un obstacle majeur à leur évolution, les sols n’étant pas maîtrisés par la puissance publique.

Le plan des propriétés foncières de Montfermeil en 2005 met en évidence une logique foncière caractérisée par la dissociation entre des bâtiments et leur assiette foncière. En écho à cette mosaïque, l’araignée souterraine des réseaux de chauffage des immeubles de la copropriété fut le fait d’extensions successives, de traversées aléatoires de bâtiments. L’invisible rhizome dévorateur d’énergie fut en son temps alimenté par une chaufferie unique au charbon pour les 1534 logements de la cité des bosquets ! La difficulté d’évolution de la cité des Bosquets tient à cet état foncier. Transformer un bâtiment nécessite au préalable de l’acquérir, ce qui implique le rachat de sa dette. Le travail invisible accompli en amont du projet a consisté à démêler l’écheveau foncier des sols, réseaux et bâtiments -à l’image d’un port où les amarres des navires se seraient mélangées au point de faire d’inextricables nœuds- Il faudra attendre le 27 décembre 2004 pour que soit prononcée la division de la copropriété des Bosquets qui permet une autonomie de gestion pour les quatre bâtiments rachetés et retrouver ainsi progressivement une maîtrise publique des sols et des réseaux. Quelques jours plus tôt est signée la convention de rénovation urbaine pour le quartier (Anru).

Zehrfuss, « B12 et B14 »
L’architecture de Zehrfuss se décline sur le site principalement à partir de deux familles de bâtiments qui sonnent comme une bataille navale : les « B12 » et les « B14 » sont ordonnés selon l’implacable orientation nord-sud/est-ouest du grand ensemble.

- Les B12 (image ci-dessus), barres de R+10, orientées est-ouest, portent leur nom en barrant littéralement le paysage, tout particulièrement celui de la proche forêt de Bondy. Le « B12 » du site contient 147 logements répartis sur 4 cages, à raison de 30 à 40 logements desservis par cage. Les ascenseurs y étaient quasiment toujours en panne, vu l’état de la copropriété.
- Les B14 (image ci-dessus) sont des bâtiments de R+4 bien conçus: distribution éclairée en lumière naturelle, 2 logements par palier, bonne disposition des pièces, logements traversant minces, ce qui rend le phénomène traversant d’autant plus sensible. Sur le site, le bâtiment B14 contient 40 logements, tandis que le B14A en contenait 62 (sur ces 62, 50 sont conservés, et 12 démolis)
En 2003, les architectes Germe et Jam sont appelés à intervenir sur les îlots Berthe Morisot. Leur étude sert de cadre de réflexion aux 4 candidats retenus pour le concours d’architecture de 2004 qui a pour objet la restructuration résidentielle des îlots Berthe Morisot à Montfermeil. En voici les principes:
-Concilier les géométries contradictoires du grand ensemble et de ce qui l’entoure, par le tracé de voies prolongeant l’existant, permettant de mieux irriguer l’ensemble.
-Conjuguer les qualités d’ouverture du grand ensemble à celles intérieures de cœurs d’îlot
-Reconnaître les qualités de l’architecture de Zehrfuss. S’y adosser, en plusieurs sens.
-Associer clairement un bâtiment ou un ensemble de bâtiments à son assiette foncière.
-Travailler à densité égale : Le projet final possèdera la même densité que l’état d’origine, de sorte que les habitants qui le souhaitent puissent être relogés sur place. Sur les 249 logements existant sur le site -B12=147, B14=40, B14A=62- on trouve au final 250 logements, répartis en 90 logements réhabilités -40 pour B14 et 50 pour B14A- ainsi que 160 logements neufs, répartis sur les deux îlots H et I. Ces îlots s’organisent à partir des bâtiments conservés (réhabilités) B14 et B14A, qui en constituent la face sud sur le mail Cézanne. Ils sont divisés en 5 unités résidentielles autonomes, caractérisées par des accès indépendants clairement identifiés depuis l’espace public, aussi bien pour les piétons que pour les voitures. Cette autonomie est garante de possibilités d’évolution. Les règles du concours préconisaient la mise en place d’un principe distributif depuis l’espace public, à base de succession de cours, noyaux de distribution verticale, allées et jardins permettant d’investir les cœurs d’îlot.

Projet

Le projet de restructuration résidentielle des îlots Berthe Morisot à Montfermeil s’organise en
5 unités résidentielles réparties sur deux îlots, 3 pour l’îlot H et 2 pour l’îlot I, autrement dit trois unités résidentielles adressées au nord depuis la rue Berthe Morisot et 2 au sud induites par B14 et B14A, adressées à la fois sur le mail Cézanne et sur les rues transversales Utrillo et Degas (que de peintres !). Rappelons au passage les beaux acacias du mail Cézanne, rasés pour avoir eu le tort de ne pas correspondre exactement à un plan paysagé élaboré 40 ans après leur plantation (réécriture végétale de la fable du loup et de l’agneau).
Mis à part les deux corps de Bâtiment existants B14 et B14A, le projet se répartit sur 11 bâtiments neufs dont 8 sont livrés en 2011 (119 logements), les 3 derniers (41 logements) faisant l’objet de la deuxième et dernière tranche, livrés en 2014. Que le lecteur se rassure, nous lui épargnerons la visite exhaustive de l’ensemble : Nous nous contenterons ici d’évoquer le principe de distribution et d’organisation des bâtiments depuis le la rue Berthe Morisot, la réhabilitation des bâtiments de Zehrfuss B14 et B14A, et pour finir les pièces d’angles. Après quoi nous reviendrons ensuite sur quelques thèmes ici privilégiés: intériorité, matérialité, couleur.

Berthe Morisot

Décrivons le parcours depuis cette rue est-ouest qui longe au nord les deux îlots pour se jeter à l’est dans la proche forêt de Bondy. Prenons l’îlot I : Par une cour plantée (Ginkgo Biloba) on accède au nord entre deux bâtiments R+4 (2I et 3I) avec comme toile de fond B14A. A main droite comme à main gauche deux halls de distribution verticale, chacun desservant respectivement 17 et 19 logements organisés selon une figure de « L » orientée sud-est ou sud-ouest.
Vers la gauche en profondeur une allée surélevée longe un grand jardin de cœur d’îlot en pleine terre desservant les 12 logements d’un bâtiment de trois niveaux (4I). Les 4 appartements du rez-de-chaussée y sont accessibles par une terrasse privative de plain pied, tandis que les autres sont desservis par 2 escaliers extérieurs menant chacun à un palier au 1er étage où l’on trouve 4 portes palières de 2 appartements au 1er étage et 2 appartements au 2ème. Ces appartements sont traversants est-ouest, séjour à l’ouest, chambres à l’est.

On trouve ce principe distributif aussi bien pour l’îlot H que pour l’îlot I. L’extrémité ouest de l’îlot H, face à la tour Utrillo, est desservie sur un principe analogue d’enchaînement d’espaces extérieurs, mais diffère toutefois du fait de la forme du terrain et de la présence en rez-de-chaussée d’un programme d’équipements publics.

B14 et B14A
La rénovation des bâtiments de Zehrfuss fut évidemment ici un enjeu décisif. On peut poser la question en termes généraux : Que faisons-nous cinquante ans après de ce patrimoine tant décrié des années 60 ? Mais il s’agit là de vrais bâtiments, et pas n’importe lesquels, sur quoi nous nous sommes penchés de manière circonstanciée. Malgré le déficit flagrant d’entretien des immeubles, on devine une construction originelle de qualité, avec un mode constructif intéressant : Les façades non porteuses du B14 (prototype d’origine) favorisent une écriture de panneaux extérieurs menuisés. L’examen attentif de l’architecture de Zehrfuss permet d’y déceler un caractère aussi construit que précisément dessiné : rythmes, rapports harmoniques, inversions de figures, plans intérieurs bien conçus, minces traversants et leurs conséquences : pièces d’eau en lumière naturelle. Les visites des logements avant travaux confirment l’impression positive qui ressort de l’examen des plans : Ils sont bien habités.
La réhabilitation concerne les parties communes (réfection des halls, de la distribution ; création de locaux de collecte sélective), l’intérieur des logements (installation de VMC, réfection de l’électricité, du gaz, remplacement d’appareils sanitaires) ainsi que des travaux extérieurs (clôture, parking commun, plantations etc.). Un dernier point concerne la réfection complète des menuiseries existantes, qui impliquait ici la réfection complète des façades du projet, vu le mode constructif. Celles-ci intègrent plusieurs sujétions : stores, volets roulants, performances thermiques, intervention en milieu occupé qui nécessite un temps réduit au minimum.

C’était aussi l’occasion d’offrir davantage de lumière, les menuiseries ont de ce fait été entièrement redessinées, réinterprétées sur la base d’une « partition » existante : partition des espaces intérieurs, la disposition des pièces n’ayant pas changé, et partition des extérieurs, tout particulièrement celle des balcons existants dont le décalage illustre le phénomène d’inversion déjà évoqué. Les nouvelles menuiseries sont en bois naturel ou peint selon le degré d’exposition : Les parties peintes au nu extérieur, permettent d’assembler les ensembles constructifs, arrêter les cloisonnements avant façade, tandis que les parties en retrait sont laissées naturelles, dans le même bois. Les remplissages sont en verre clair ou sablé pour les pièces d’eau, en aluminium laqué pour les parties pleines. La réfection des façades de B14 et B14A fut pour nous l’occasion de porter un regard précis sur cette architecture, pour tenter d’offrir une possibilité de la regarder différemment, et peut-être ainsi de la reconsidérer.


Pièces d’angle
On peut objecter à l’architecture de Zehrfuss qu’elle ait parfois été déclinée ad nauseam, à l’instar du fameux Haut du lièvre de Nancy, et quelles qu’en soient les qualités plastiques. Le concours proposait à cet égard un principe d’adjonction d’éléments de raccord disposés aux extrémités des «B14 ». Ces volumes de faible capacité (5 logements pour 1I, 12 et 10 pour 1H et 7H) offrent des opportunités intéressantes de retournements de vues, et relancent la question dans d’autres directions en accompagnant la création d’une voie : C’est le cas de 1I et 7H (pas encore construit), initiant le nouveau tracé de la rue Degas, entre I et H.


Intériorité
L’intériorité se décline à plusieurs échelles, quartier, espace intérieur, ville ou paysage. Au lieu du paysage abstrait des immeubles dans un parc, théorisé dans les années 20, on travaille ici sur un emboîtement d’échelles différenciées : cour, jardin, allée, creux des terrasses, dedans, dehors, rue, bois, horizons etc. C’est à tous ces niveaux que l’on habite. La perception rassemble dans notre esprit différentes échelles à condition que l’architecture le permette, précisément. Comment perçoit-on l’extérieur depuis l’intérieur ? Que voit-on ; qui voit-on ? Le soleil vous rend il visite ? La disposition des logements se décline ici selon deux figures principales, celle du L, celle du traversant. Le plan en L s’organise à base du trio Séjour cuisine terrasse. Il est toujours orienté sud-est ou sud ouest, de sorte que tous les séjours sans exception bénéficient du soleil. L’autre figure est celle du traversant classique, orienté est-ouest, séjour à l’ouest et chambres à l’est.


Matérialité
La question de la matérialité se pose aujourd’hui de manière cruciale en matière de logement, illustrée par le recours fréquent à des solutions toutes faites, produits élaborés pour répondre à la lettre à l’empilage aléatoire de règlements successifs. Cela va de pair avec une forme de dématérialisation. On a ainsi recours de plus en plus souvent à des matériaux lisses qui, à l’instar d’un phénomène profond de nos sociétés, refusent le vieillissement. Ce caractère lisse se conjugue avec l’illusion trop souvent répandue du « zéro entretien ». Serait-ce qu’ils ne vieillissent pas parce qu’ils seraient lisses ? Ce refus d’accepter les marques du temps –comme si c’était possible, ou même souhaitable- renvoie pour nous plutôt à la terrible et fameuse histoire de Dorian Gray, dont le portrait intact dissimule un intérieur ravagé.

Si cette préoccupation apparaît dans le traitement des menuiseries (celles de B14 et B14A), elle s’illustre aussi dans le travail sur l’accroche au sol. L’architecture des années 60 s’est souvent illustrée par des bâtiments déconnectés, flottant comme des vaisseaux sans amarres, fameux immeubles dans un parc. Peut-on aujourd’hui renouer avec le sol ? Cela nécessite de formuler de simples questions d’usage : comment accède t’on depuis la rue à son logement. Que se passe-t-il entre les deux ? A quel niveau sont les rez-de-chaussée ? Ont-ils des jardins ? Peut-on y accéder, y planter ? L’accroche au sol se manifeste ici dans la façon dont les bâtiments « atterrissent », notamment au travers du traitement architectural de l’assise, avec le recours à la technique de la pierre banchée, éprouvée par Hervé Beaudouin ou par Edmond Lay, qui permet de constituer une assise « solide », rugueuse, apte à tenir le choc.

Couleur
Quel est le rôle de la couleur dans l’architecture ? Disons qu’elle est potentiellement à l’architecture ce que l’ornement est à la musique, non pas rajouté, mais là pour mieux exprimer une intention musicale et la rendre vivante. De même la couleur peut être en architecture convoquée pour révéler, accentuer ce qui existe déjà, par creusements, réflexion de lumière, révélation de figures etc. dire mieux ce qui déjà était dit en puissance.

Vincen Cornu

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